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William Marx, professeur au Collège de France : « Les paroles du pape François sur la littérature, qui vont contre la tradition de censure de l’Eglise, sont révolutionnaires »

« Souvent, dans l’ennui des vacances, dans la chaleur et la solitude de certains quartiers déserts, trouver un bon livre à lire devient une oasis qui nous éloigne d’autres choix qui ne nous feraient pas du bien. » Cet excellent conseil n’aurait pas surpris dans la bouche de Bernard Pivot ou d’Oprah Winfrey. Il ouvre pourtant l’insolite « Lettre du pape François sur le rôle de la littérature dans la formation », publiée en pleins Jeux olympiques et passée presque inaperçue.
Le document pontifical n’en constitue pas moins un événement considérable pour tous les amoureux de la littérature. S’il s’adresse par vocation au monde catholique, sa portée va bien au-delà du problème initialement visé de la formation sacerdotale. Les responsables éducatifs, y compris dans l’enseignement laïque, y trouveront de quoi méditer utilement. J’en recommande la lecture au futur ministre de l’éducation.
Que l’Eglise catholique s’intéresse à la littérature n’est pas nouveau. On se souvient de l’« Index des livres interdits » mis en place après le concile de Trente (1545-1563) et aboli en 1966 seulement : Stendhal et Hugo y côtoyaient Sand et Flaubert.
François, en un geste dont il est coutumier, renverse la perspective traditionnelle. La lecture des grands textes poétiques et romanesques, écrit-il, est à la base de toute éducation. La littérature oblige à écouter la voix d’autrui, elle permet de découvrir d’autres cultures, d’entrer dans d’autres existences que la sienne propre, elle invite au « décentrement » et à l’empathie, elle répare l’« incapacité émotionnelle » dont souffre le monde moderne et l’enfermement de chaque individu dans sa bulle obsessionnelle.
Le cinéma et les médias audiovisuels n’en font-ils pas autant ? Sans doute, répond le pape, à ceci près que la littérature agit avec une efficacité incomparable. On peut lire en toute situation, sans technologie coûteuse. C’est l’art le plus démocratiquement accessible, car il s’agit d’un art « pauvre », terme qui n’a rien de péjoratif pour celui qui a placé son pontificat sous le patronage du saint d’Assise.
L’œuvre littéraire, qui n’est faite que de mots, de style et de symboles, exige du lecteur qu’il lui insuffle sa propre imagination et qu’il exerce ses propres pouvoirs de création et de représentation. Extraire des livres les richesses qu’ils contiennent oblige l’esprit à développer ses propres forces. Alors que les autres médias peuvent se contenter d’une relative passivité, la lecture demeure fondamentalement active.
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